Critiques et infos théâtrales

La compagnie root'arts

FESTIVAL OFF D’AVIGNON : Femme nonrééducable


2005 – Bureau de la présidence russe – Vladislav Surkov, proche de Vladimir Poutine, à propos des opposants au gouvernement les plus radicaux : « Il est nécessaire que l’État s’emploie à éradiquer de son territoire les sujets non rééducables »


On l’appelle « journaliste » plutôt que de la nommer. Sans doute est-il capital que la fonction camoufle l’humain, comme la cagoule escamote le visage du bourreau. Femme et journaliste sont les deux handicaps d’Anna Politosvkaia, future martyre de la vérité, qui sur son chemin chaotique, aura couramment frayé avec la lie de l’humanité.


Tortures, attentats, massacres, viols…Pour son enquête en Tchétchénie, elle rencontre les victimes mais aussi les tortionnaires des deux camps, et tente d’appréhender, d’expliquer, d’exposer les faits pour révéler l’indicible à un peuple abreuvé par le flot de propagande des médias officiels.


« Celui qui pense que le sang est rouge ne sait pas, n’a pas vu » écrit-elle après l’attentat contre le parlement de Grozny, en pataugeant dans la merde et le sang qui se déversent des cadavres et blessés éparpillés sur le sol enneigé.


Lors d’un entretien avec un officier russe (Amine Adja, remarquable de retenue), elle réalise alors la difficulté d’échanger face à un mercenaire sans idéaux qui tue du moment qu’on le paie. L’impossibilité du dialogue se confirme lors de la prise d’otages du théâtre de La Doubrovka à Moscou, quant, négociatrice, elle se heurte au déterminisme des terroristes, résolus à sacrifier les enfants.


En fonds de scène, projeté sur écran, le visage de l’ogre Kadyrov, nouveau maître de la Tchétchénie, dévore l’espace et tente d’engloutir l’étoile Politosvkaia. Une étoile qui faillit s’éteindre une première fois à la suite d’un empoisonnement, passage superbe de la pièce, où l’alliance des images d’un corps allongé sur l’herbe et d’un texte sublime, donné d’une voix calme, transporte l’esprit dans un ailleurs édénique, loin de la barbarie. Le corps d’Anna flotte alors entre deux mondes, illustrant peut-être son incapacité à choisir un camp dans lequel chacun voudrait l’enfermer.

Je suis une journaliste, pas un juge et encore moins un magistrat. Je me limite à raconter les faits.


C’est à la dévastation d’un pays, au saccage de l’espoir et à la fin de la raison que nous assistons.

L’auteur, Stefano Massini, a recomposé les écrits de la journaliste en une structure fragmentaire, un genre de théâtre-documentaire, qui s’échafauderait à partir de coupures de journaux et de flashs d’infos. Cette accumulation de faits, impressionnante de concision, glisse progressivement vers l’horreur et finit par nous prendre à la gorge.


Maud Narboni, exceptionnelle, réussit l’exploit de se fondre intégralement dans le corps et l’âme meurtrie d’Anna Politosvkaia. La mise en scène de Vincent Franchi, d’une grande sobriété, imagine une forme de distance narrative que l’émotion effleure avec pudeur et justesse.


Sur la scène, au centre, un tas de gravats en forme de cercle aspire peu à peu Anna vers le gouffre du néant. C’est le principe de la tragédie mise en œuvre. Destin, fatalité, déterminisme. La quête impossible de la vérité devient spirale sans fin conduisant vers la mort dans ce spectacle magistral.

Cours de théâtre Marseille Root'arts

Titre : Femme non rééducable

Mise en scène : Vincent Franchi

Comédiens : Amine Adjina, Maud Narboni

Scénographie : Clémentine Cluzeaud

Vidéo : Guillaume Mika

Lumières : Léo Grosperrin

Dates du spectacle : du 4 au 26 juillet (relâche les 6, 13, 20 juillet)

Théâtre : Théâtre du Balcon

compagnie-souriciere.fr

Crédit photo : Jérémy F. Marron

Pièce théâtre le purgatoire Root'arts

TITRE : LE PURGATOIRE

AUTEUR : Marion COUTRIS (d’après Dante Alighieri)METTEUR EN SCENE : Serge NOYELLE

SCENOGRAPHIE : Serge NOYELLE assisté de Gregori MIEGE

COMEDIENS : 150 artistes, comédiens, danseurs et chanteurs amateurs et professionnels

MUSIQUE : ALAIN AUBIN (composition et direction des chœurs) et Marco QUESADA (composition musicale)

DATES DE SPECTACLE : 5, 6, 12, 13, 19 et 20 juin 2015

HORAIRES : 3 départs : 20h30, 21h00, 21h30

THEATRE : Théâtre Nono

Theatre-nono.com

LA DEAMBULATION DE DANTE

 

150 personnages, 150 corps, 150 âmes, psalmodiant, éructant des sons et des chants d’un autre monde, d’une autre dimension. Des corps et des âmes ressuscitant, peut-être, des extraits modifiés et bouleversés de leur existence passée. Autant de moments que nous, spectateurs/voyageurs, allons vivre et ressentir, à l’instar de Dante contemplant l’état des âmes dans le purgatoire.

 

Invités par deux personnages souriants, à la voix apaisante et, tout de blancs vêtus et maquillés, à s’introduire dans un vaste chapiteau en bois, nous, les spectateurs/voyageurs nous apprêtons à pénétrer de l’autre côté, quittant l’espace rassurant de la campagne provençale pour un lieu protéiforme où le commun n’a plus lieu d’être. Des chants, des voix, des cris, des fragments de texte, des sons étranges, c’est une fresque composée d’une douzaine de tableaux tous plus magnifiques les uns que les autres, qu’il nous est donnée à voir, peut-être pour en saisir le sens, mais quel sens ? Le purgatoire a un but mais un sens ?

 

Des hommes qui chantent, assis sur des chaises suspendues dans les airs, un barman dissertant sur la nature humaine en nous servant de singulières boissons colorées, un repas où une vingtaine de convives, emmenés par une sculpturale et tonitruante créature Fellinienne, s’affrontent autour d’une tête de cochon en gelée bleue, un chœur de femmes, vêtues comme les veuves siciliennes, se lamentant autour d’un ange déclamant en italien, une sublime procession de spectres d’où émanent d’étranges mélodies, sont autant d’évènements qui au fur et à mesure de la traversée vont nous bousculer, nous déranger, nous amuser, nous envoûter sans que nous ayons besoin d’y accoler une quelconque signification, emportés loin, ailleurs, dans un monde aux interstices visuelles et sonores dans lesquelles nous tentons de camoufler les quelques miettes de rationalité qui nous restent.

 

 

DIVINE COMEDIE

 

 

Les mots de Marion Coutris sont à la fois malmenés et transcendés dans cet espace sonore transversal, où nous tentons de saisir au vol les phrases et bribes de texte. 

 

Fascinés et intrigués par l’inquiétante étrangeté émanant de ces mystérieux protagonistes, nous déambulons près de ces hommes en costume assis sur de confortables fauteuils, qui nous scrutent en proférant des questions auxquelles nous hésitons à donner la moindre parcelle de réponse. 

 

Eblouis par la mise en scène et la scénographie de Serge Noyelle, sublimés par les compositions musicales d’Alain Aubin et Marco Quesada qui créent le fil d’Ariane entre les lieux, nous devons parfois nous asseoir sur des transats afin de nous laisser submerger par l’infinie richesse des visions offertes par les 150 comédiens, danseurs et chanteurs, comme ce tableau nommé « la forêt renversée » où des réfugiés, s’acheminent, dans une chorégraphie d’une lenteur captivante, vers la lumière avant de s’effondrer, inanimés, et de se relever pour recommencer le même parcours.

 

Revenir sur nos pas, recommencer, éprouver nous-mêmes le purgatoire, c’est l’ambition de ce spectacle démesuré qui transporte nos esprits dans une déambulation magnétique et hypnotisante, dont le parcours se conclut par une poignée de sel délicatement déposée dans notre main. 

 

Nul doute que Dante Alighieri lui-même aurait apprécié ce voyage, illustration fantasque et spectaculaire de sa prose, désormais enracinée pour l’éternité dans notre cœur et notre esprit de spectateur/voyageur.

FESTIVAL OFF D’AVIGNON : King du ring 

 

 

Mohamed Ali. The Greatest. Champion du coup de poing verbal. C’est la puissante force de frappe des opprimés qui, d’une droite en plein visage, fracasse les parois nasales et éclate les arcades sourcilières de l’Amérique, à travers un personnage emblématique au speech étourdissant.

 

Mohamed Ali/Cassius Clay, un de ces grands mythes façonnés par les Etats-Unis, combat seul sur scène, un combat pour la vie, contre l’autre, le blanc, souvent. Mais est ce bien The Greatest qui déclame, qui soliloque ?

 

Car c’est une femme (Adeline Walter, comédienne et boxeuse, formidable) qui expulse du plus profond de son inconscient les mots de ce pamphlet dans une incroyable performance dont l’énergie pousse le spectateur dans les cordes jusqu’au KO technique. C’est elle qui presse entre ses gants l’Amérique pour en faire sortir le jus de vérité. Ce n’est pas la sueur de l’oncle Tom qui perle sur son front, mais bien celle de tous les laissés pour compte, ceux qui doivent vraiment se battre, sans relâche, dans un monde impitoyable, même lorsqu’ils sont arrivés au sommet.

 

Je m’exprime afin que cela s’imprime en vous ! Le texte de Rémi Checcheto remue, secoue et bouleverse comme rarement. S’inspirant d’épisodes marquants de la vie d’Ali (son refus d’aller au Vietnam, le vol de sa bicyclette qui le conduira vers la boxe…), l’auteur a construit une cathédrale du verbe dont la densité est telle qu’elle demande plusieurs visions du spectacle. La logorrhée de Mohamed s’empare autant du corps du spectateur que de celui de la boxeuse qui débite pendant plus d’une heure sans jamais perdre le rythme, à la fois concentrée, tendue, aérienne et dansante, comme un papillon.

 

La mise en scène d’Alexia Vidal, conceptrice du « théâtre mouvementé », que l’on pourrait résumer par la fusion absolue du mouvement et du texte, irrigue la comédienne d’une force qui n’oublie pas la grâce. Le choix d’une interprète blanche à la place d’un comédien noir pour porter la parole de tous les combattants est simplement magnifique. Un ring sobrement sculpté par des rais de lumière et quelques vidéos de Marie Jumelin, qui renforcent le propos sans jamais l’alourdir, achèvent de donner l’ultime uppercut de cette ode à la lutte pour la vie.

Titre : King du ring

Auteur : Rémi Checchetto

Metteur en scène: Alexia Vidal

Comédienne : Adeline Walter

Lumière : Cyrille Coé

Vidéaste : Marie Jumelin

Dates du spectacle : du 4 au 26 juillet, relâche les 8, 15, 22 juillet (à 17h15)

Théâtre : Artéphile

Site :  corps-de-passage.com

Crédit photo : Estelle Monnier