Theatrum mundi
Cinéma et profusion
Qu’est-ce que l’Art ? A vrai dire, il n’en existe pas de définition vraiment exacte tant il s’agit d’un mot-valise.
Pour nous faciliter la vie, prenons celle de Wikipédia : l’art est une activité, le produit de cette activité même, qui s’adresse aux sens, aux émotions, aux intuitions et à l’intellect.
Le cinéma en fait indubitablement partie. Les frères Taviani, réalisateurs bicéphales ayant offert au septième art quelques-unes de ses plus belles œuvres, le définissaient même comme le roi des Arts tant il avait ce pouvoir d’englober tous les autres.
De curiosité scientifique et expérimentale à ses débuts, il va très vite développer son propre langage pour véhiculer autre chose que des images en mouvement. Ce sera d’abord l’école de Brighton qui va inventer et perfectionner l’idée du plan et du découpage puis l’américain D.W. Griffith qui est aujourd’hui considéré par les historiens comme le père du langage cinématographique actuel : écriture, valeurs de plans, montage, etc…
Tout le long du XXème siècle, le cinéma servira de terrain d’expérimentation à de nombreux artistes. L’arrivée de la télévision ouvre la voie à la fabrication d’images pures et dures en rejetant comme tel le langage cinématographique. On peut bien sûr retrouver des artistes dans la petite lucarne mais comme pris au piège dans une boîte, plus du tout grandis. Godard disait : « Devant votre écran de télévision, vous baissez la tête, au cinéma vous la levez ». Il y a donc déjà une dépréciation de l’œuvre via le médium utilisé. Au XXIème siècle, c’est encore plus flagrant.
La technologie et Internet permettent à tout et à chacun de fabriquer des images et de les diffuser. La quantité de films produits aujourd’hui est proprement hallucinante. Il suffit de jeter un œil sur Youtube ou sur les réseaux sociaux. Le cinéma n’a d’autre choix que de se livrer à une véritable guerre pour survivre dans cette écœurante profusion d’images en mouvement. Mais le peut-il ? Et le spectateur en a-t-il même vraiment envie ? Pourtant il est bateau de dire que l’Art est ce qui rend la vie plus supportable et agréable. Imagine-t-on un instant une société qui ne produirait plus rien d’artistique ? Le cinéma, Art le plus populaire de tous, est malmené et certains annoncent même qu’il est mort.
Ce qui est sûr c’est que nous allons le tuer si nous le laissons aux mains de financiers sans scrupules, comme ceux de Netflix. Le patron, Reed Hastings a un jour déclaré à un journaliste (qui s’inquiétait de ne voir quasiment sur la plate-forme que des films tournés après les années 2000), qu’il surestimait l’intérêt des gens pour les « vieux films ».
Depuis quelques années, la plate-forme s’est lancée dans la production de son propre contenu (je n’ose écrire « œuvre »). La très grande majorité sont des films médiocres. Alors face aux foudres des Gardiens du Temple (festival de Cannes), Netflix choisit de faire appel aux grands cinéastes comme Alfonso Cuaron ou Scorsese, qu’ils dotent de budgets conséquents et à qui ils laissent les mains libres. Inespéré par exemple pour Scorsese qui avec 150 millions de dollars parvient ainsi à concrétiser une magnifique œuvre funèbre qui n’aurait peut-être jamais vu le jour.
Si l’on peut comprendre l’opportunisme des dirigeants de Netflix à tenter de récupérer les spectateurs plus « sensibles et intellos », comment peuvent-ils investir une somme similaire dans le dernier Michael Bay « 6 underground » qui, lui, ne rencontre pas de difficultés particulières pour financer ses productions ?
La question se pose, d’autant qu’il s’agit d’un film qui correspond à l’air du temps – action – violence – humour beauf – action – explosion – et est parfaitement programmable en salles. Justement avec le dernier film de Michael Bay, un cap est franchi. Nulle question d’Art dans ce salmigondis abrutissant et illisible qui pulvérise les balises du langage cinématographique évoqué plus haut.
Un scénario qui se résume à un déroulement simpliste, un découpage illisible, un montage hystérique, des personnages ultra caricaturaux, le tout enrobé d’un soupçon de racisme (les méchants sont étrangers) et de patriotisme (les bons sont américains ou hyper occidentalisés).
En vrai, tout le film est contenu dans la séquence d’ouverture, une course poursuite en voiture d’une bonne vingtaine de minutes en pleine ville de Florence, berceau historique de la Renaissance et de l’Art. Les bagnoles et les flingues exterminent tout, que ce soient les statues classiques ou les immeubles historiques.
Un signe ? Sans doute, mais nous devons y voir surtout une alerte. Celle d’une destruction en règle de l’Art afin de ravaler celui-ci à un concept aussi peu nécessaire qu’un produit de supermarché bas de gamme. Michael Bay est un publicitaire à la base.
Et si on repère les placements de produit, on réalise aussi que chaque plan est magnifié et clinquant comme une pub, y compris la mort violente des protagonistes et des antagonistes. Ce film est la négation même de la chose artistique, une insulte à l’intelligence et à la beauté. Bay est l’américain de base, fier de sa toute puissance, rabaissant les arts classiques pour se mettre au service de la jouissance que permet un capitalisme débridé.
Car n’en doutons pas, Bay et son équipe aux goûts de chiottes affirmés (comme leur président), sont animés par le pouvoir et l’argent, leur but étant de jouir et de transformer le maximum d’entre nous en consommateurs.
On n’oublie pas non plus une « morale » bien abjecte et libertarienne où c’est un milliardaire qui sauve le monde. Pour lutter contre cette fabrication d’images effrénée, le cinéma et son public doivent impérativement se positionner et en quelque sorte choisir leur camp. Voulons-nous continuer à regarder et ressentir des œuvres, en parler longtemps après, ou simplement voir des images en mouvement et les oublier aussi vite qu’elles ont été vues?
C’est une question essentielle. Il en va de l’avenir de notre société et par corollaire de notre civilisation.
Le monde d’aprés
Quiconque a entendu parler de la stratégie du choc, chère au père de l’économie ultra-libérale Milton Friedman, sait que le moment est venu de l’appliquer. En effet quoi de mieux qu’une pandémie et un confinement planétaire pour amorcer la sortie du réel et agencer les prémisses du monde-machine tant désiré par certains individus hors sol gravitant dans l’atmosphère éthérée d’un certain lieu de la côte ouest des Etats-Unis ?
La France qui s’enorgueillit de son passé culturel et de ses traditions culinaires s’est toujours crue à l’abri des pouvoirs de l’Intelligence Artificielle avide de nouveaux territoires. Oui, dit ainsi, cela ressemble à un mauvais film de science-fiction de série B, mais, depuis de nombreuses années, l’imaginaire est de moins en moins chimérique.
Tapis dans la lumière, ses agents, seulement visibles aux yeux de l’élite des lucides, n’ont même pas besoin d’avancer courageusement leurs pions puisqu’ils sont acceptés sans contrainte. Le téléphone portable et l’ordinateur, sont passés d’utiles outils à véritables armes de destruction massive de l’environnement social, aidés en cela par la convergence de l’industrie, de la science et du capitalisme.
L’état d’urgence sanitaire justifie une explosion de la surveillance via des instruments de plus en plus précis, drones, géolocalisation, traçage (Appli STOP COVID) et même un chien robot patrouillant à Singapour pour faire respecter la distance sociale !
L’histoire ne dit pas s’il mord mais, en tout cas, il fascine et fait peur aux quelques promeneurs insouciants. Les géants du numérique ne s’arrêtent pas à l’espionnage et peuvent aussi se féliciter d’avoir poussé très loin le concept du « tout à domicile ».
En ce début 2020, le réseau global a fait basculer l’humanité dans une nouvelle ère, d’abord en éliminant les plus faibles et les plus inadaptés, individus comme entreprises, sans distinction, (à la fin de cette année, la France comptera jusqu’à 700 000 chômeurs de plus qu’en 2019) puis en favorisant la consommation de produits et de services via le Net (Amazon, Netflix, Uber Eats, etc…). Entre le 18 mars et le 19 mai, les 600 ultra riches américains ont ainsi vu leur fortune augmenter de 434 milliards de dollars, soit une hausse de près de 15% en deux mois. En haut du panier, Jeff Bezos, Bill Gates, Mark Zuckerberg et tant d’autres qu’il serait fastidieux de nommer.
La culture, particulièrement impactée, a vu sacrifiée l’été des festivals sur l’autel de la santé. Si les intermittents du spectacle sont provisoirement sauvés par l’obtention d’une année blanche, ce n’est pas le cas de ceux de l’hôtellerie, de la restauration et du tourisme qui vont aller grossir les rangs de Pôle Emploi.
Ce qui pose la question du fonctionnement actuel du monde culturel.
En effet, pourquoi, maintenant que l’on évoque une possible deuxième vague, se déplacer et prendre le risque de se rendre dans une salle de cinéma, dans un théâtre ou au concert, si le streaming et YouTube permettent une diffusion de haute qualité, bien confortablement assis sur son canapé ? Pourquoi se rendre à une exposition si de plus en plus de musées proposent de mettre en ligne leurs collections ?
Le Louvre, le Musée du Prado ou le Mucem offrent déjà des visites virtuelles au visiteur qui n’a plus qu’à cliquer sur sa souris pour voir ou revoir « La Joconde » ou « Henri Michaux, acteur japonais » de Dubuffet. Magique, on peut y rester toute la journée et même y revenir le lendemain sans payer (pour le moment) et, dans un futur (proche ?), cette merveille permettra à l’employeur (Etat ou privé) d’éviter de salarier d’inutiles et encombrants médiateurs et autres gardiens. Que demande le peuple ?
Tiens, le peuple, cette entité assez vague dont les dominants usent et abusent au gré de leurs besoins, que pense-t-il de cette pandémie tout compte fait ?
Eh bien, s’il a pu éviter les désagréments pénibles d’un virus né des maladies de la société industrielle et de la guerre au vivant, et s’il habite un endroit pas trop décrépit, gageons qu’il aura dans l’ensemble passé un agréable confinement. Il aura découvert les vertus du télétravail en tongs, fait du sport à son rythme via les coachs en ligne, apprécié que ses enfants suivent attentivement leurs cours sur ordinateur (avec de nombreuses pauses Minecraft ou FIFA 2020) et même télé consulter son médecin, en évitant l’insupportable
attente dans son cabinet en compagnie de quelques pauvres bougres toussotant et se mouchant goulument.
Bref, le monde d’après pourrait se résumer par un langage binaire : accélération/repli sur soi, ouverture/piège, cocon intérieur/hostilité extérieure.
Mais il se définira surtout comme celui des masses pacifiées par la toile délicieusement protectrice du numérique.
Le vieux monde disparaît. Le nouveau émerge à une vitesse affolante. Au final, surgiront les monstres. *
*Merci à Antonio Gramsci
Vers un monde autoritaire ?
Connaissez-vous l’auteure Ayn Rand ? Sans doute pas, ou très peu.
Une étude de la Bibliothèque du Congrès de 1991 présente son second roman « La grève » comme le livre ayant eu le plus d’influences sur les américains après la Bible. Par exemple Donald Trump l’adore mais aussi Brad Pitt, pas vraiment du même bord politique.
Ce qui les lie n’est pas l’amour de la culture littéraire mais bien la philosophie développée par l’écrivain : l’Objectivisme. Kezako ? « L’Objectivisme se décline en une métaphysique (celle de la réalité objective); une épistémologie (le primat de la raison); une éthique (celle de l’accomplissement de l’égo et de son intérêt propre) et une doctrine économique (le capitalisme du laissez-faire), il y a également trois valeurs cardinales de l’Objectivisme : la raison, l’intentionnalité et l’estime de soi. Enfin, l’Objectivisme affirme la supériorité fondatrice du droit de propriété à la base de tous les autres droits ». 1
Et nous en venons directement à son corollaire, le libertarianisme qui ne concerne que la politique et l’économie mais qui s’inspire des principes de liberté individuelle exposées par Ayn Rand, bien que celle-ci voyait la politique comme un symptôme secondaire par rapport à la doctrine primale de l’égoïsme et de la raison. Ce phénomène est avant tout États-Unien et le parti libertarien est d’ailleurs minoritaire là-bas. L’Europe ne semble pas être concernée, du moins c’est ce qu’on pouvait penser jusqu’à maintenant, car depuis, le Brexit a bel et bien eu lieu.
Les sociologues Marlène Benquet et Théo Bourgeron ont décidé de se pencher sur le financement de la campagne référendaire pour la sortie du Royaume-Uni du champ européen. 2
Ils s’opposent ainsi à l’analyse par la géographie sociale couramment relayée dans la plupart des médias qui soulignent le produit de la combinaison d’idées réactionnaires et racistes avec une révolte des classes populaires.
Rien de plus faux selon les auteurs, ce soulèvement n’est pas dû à une fureur populaire teintée de xénophobie (comme Donald Trump et les hommes blancs en colère) mais à une opposition de plus en plus violente dans le secteur de la finance.
Reprenons les processus dans une perspective historique. La grande phase de financiarisation des années 70 et 80 (Thatcher) se rapportaient en partie aux grande entreprises industrielles et aux pensions.
A partir des années 90 et 2000, un autre mouvement apparait (capital-investissement pour les PME, hedge funds pour des fonds risqués à haute performance…). Un processus qui finit par empiéter sur la vie sociale. Dans le livre, les 2 modes d’accumulation sont distingués comme la première et la seconde financiarisation.
La crise des subprimes de 2008 change la donne et l’idée de l’intégration européenne à tout prix devient un point de tension. Une réflexion se porte alors sur le changement de la régulation financière. Certains acteurs dominants de la seconde financiarisation avaient accumulé une fortune alors que les secteurs industriels classiques étaient toujours maîtres et pris en compte par l’Union européenne.
Certains dirigeants de hedge funds en arrivent à penser que l’Europe ressemble de plus en plus à l’Union soviétique. Ils demandent une nouvelle étape de dérégularisation et un régime politique britannique refaçonné.
Une myriade de Thinks Tanks en Grande Bretagne va donc contribuer à donner plus de 12 millions d’euros pour la campagne du Brexit.
Dans ces groupes de réflexion, certains industriels qui opèrent dans les énergies fossiles sont climato-négationnistes et considèrent que le Royaume-Uni et les anglais devraient s’adapter. En écologie, le climato-scepticisme joue un rôle de ciment pour ses acteurs qui veulent se débarrasser du cadre contraignant des règles environnementales. Que l’on pense à Trump, Bolsonaro ou Boris Johnson qui a d’ailleurs signé récemment une décision qui permet d’ouvrir une mine de charbon. 3
Même les Ecossais qui veulent leur indépendance trouvent grâce aux yeux de ces financiers pour qui la Grande-Bretagne doit être transformée en paradis fiscal pour échapper à toute réglementation.
Ce nouveau régime politique d’accumulation nécessitera une situation politique autoritaire. Chez nous, François Fillon, libéral-conservateur, en route pour les élections 2017 a rencontré sur son chemin le « Penelopegate » laissant la place à Emmanuel Macron et son parti « En Marche » pour lequel ce dernier avait récolté au Royaume-Uni 800 000 euros de dons. 4
Le président français met la pédale douce sur l’écologie et profite de la pandémie pour instaurer une loi sécurité globale qui est sans doute l’un des fleurons d’un futur système autoritaire.
A Lyon, Marion Maréchal a co-fondé en 2018 l’école ISSEP (Institut des sciences sociales, économiques et politiques). 5
On y trouve dans l’organigramme des personnalités conservatrices comme Charles Millon (élu avec les voix du FN en 1998), Yves-Marie Adelin (fondateur de l’Alliance Royale, un parti monarchiste), ou Charles Beigbeder, surnommé par certains le « sérial entrepreneur ». Elle y accueille aussi des conférenciers comme les très réactionnaires « Eric Zemmour et Ivan Rioufol ou le transhumaniste Laurent Alexandre ».
La dynamique de la construction européenne a évolué de la City traditionnelle jusqu’à la seconde financiarisation plus libertarienne. Le monde marchand y gagne ainsi une forme de légitimité.
La pandémie, révélatrice des inégalités, a vu les protagonistes du numérique s’enrichir par milliards.
Dans la Silicon Valley, il est vrai que les grands dirigeants sont réputés pour être libertariens même s’ils n’ont pas osé se rapprocher de Donald Trump, trop clivant, sauf ces soutiens les plus connus, Peter Thiel, fondateur de Paypal et Elon Musk.
Le néo-libéralisme semble ainsi un courant politique ancestral dépassé par l’hyper-individualisme forcené du libertarianisme. La finance ayant toujours une longueur d’avance, il est plus que jamais nécessaire que les citoyennes et citoyens militent en s’armant suffisamment contre cette idéologie mortifère pour nous et la planète.
La sournoise diffusion des idées libertariennes
Grace à Ayn Rand et sa théorie de l’objectivisme, qui surfe sur la logique de l’égoïsme rationnel et de l’individualisme présent en chacun d’entre nous, le capitalisme a trouvé un cadre idéal pour s’épanouir et se justifier.
On pourrait penser qu’en l’absence de grandes figures intellectuelles, la diffusion de ces idées par la littérature et les ouvrages de philosophie n’allait pas de soi. Pourtant, il essaime aujourd’hui via une autre voie, la « pop culture » (cinéma, comics, jeux vidéos…) principalement consommée par les adolescents et les jeunes adultes.
On ne compte plus les œuvres de différentes obédiences qui propagent cette pensée, le plus souvent sans que l’on s’en rende compte. L’existence d’Internet est l’exemple du parfait moyen de transmission à une échelle désormais globale.
Si les deux romans les plus célèbres d’Ayn Rand ont été adaptés au cinéma (La grève, film récent en 3 parties est inédit en salles françaises), « Le rebelle » avec Gary Cooper, adapté de « La source vive » a rencontré un franc succès dans les années 40. 1
L’historien français et critique de cinéma Georges Sadoul, d’obédience communiste, qualifiera le film de fasciste.
Peu se revendiquent de l’appellation de libertarianisme, comme si la simple évocation du mot pouvait avoir des conséquences fâcheuses. L’acteur Kurt Russell dit s’être enfui de Hollywood à causes de ses idées libertariennes mal acceptées.
Le plus célèbre est bien entendu Clint Eastwood, conservateur affirmé, votant pour le parti républicain qui s’est défini comme libertarien.
Après la série des « Inspecteur Harry », qui l’a fait passer pour un fasciste en mettant en avant la loi de l’Ouest comme horizon indépassable, l’acteur s’est, par la suite, défini comme un libertarien de tendance progressiste (il est pour le mariage homosexuel) ce qui ne l’empêche pas de continuer à voter, y compris pour Trump en 2016.
Le cinéma d’animation est également impacté. La série « South Park » adepte de l’humour « punk » ne respecte rien ni personne en alignant sur un plan similaire des personnages divers et grotesques pour pulvériser l’Amérique bien-pensante.
Les créateurs Trey Parker et Matt Stone se revendiquent anti système et avouent détester les conservateurs tout en haïssant les gauchistes.
Dans leur long métrage d’animation « Team America – police du monde », le scénario décrit des tensions fictives entre le dictateur de la Corée du Nord et les « pacifistes » comme George Clooney ou Sean Penn (tous démocrates) qui y sont ridiculisés à l’extrême. Même le militant Michael Moore, affûté d’une ceinture d’explosifs, en vient à se suicider dans les locaux de « Team America ». Sous couvert de la satire, évidemment, tout est permis, mais l’on sent bien une orientation dérangeante chez Stone et Parker car tout le monde y est représenté sur le même pied d’égalité.
Satire de « l’American way of life des classes moyennes» les Simpsons n’échappent pas non plus à la règle. Leur scénariste le plus prolifique, John Swartzwelder, est libertarien, pour la défense du port d’arme et anti-écologiste. Dans « Les indestructibles », le film d’animation de Pixar, où l’état rend les actions des super-héros illégales, les fonctionnaires y sont représentés comme des êtres veules et soumis.
Le libertarianisme se caractérisant par une haine de l’Etat, cette orientation se retrouve aussi dans les « comics » où l’éloge de l’individualisme des super-héros peut parfois être supplanté par une rébellion plus ou moins justifiée contre les gouvernements. Citons la série de comics Marvel, « Civil War » (l’une des meilleures ventes de la décennie) ou une loi de recensement des surhommes est votée par le gouvernement afin que ces derniers dévoilent leur identité secrète dans un but de contrôle de leurs activités.
Deux factions distinctes vont se scinder chez les super-héros, les pours et les contres, jusqu’à l’affrontement final. On retrouve le même schéma dans « The Authority », une équipe de supers justiciers qui s’affranchit des pouvoirs politiques pour combattre à l’échelle planétaire. Citons aussi le super-héros libertarien par essence, Batman (le milliardaire Bruce Wayne), dont l’individualisme extrême a été poussé à son paroxysme dans la saga « The Dark Knight » par l’auteur culte Frank Miller, islamophobe revendiqué, passionné d’armes à feu et qualifiant de clowns le mouvement contestataire « Occupy Wall Street ». 2
Il est aussi le créateur de la bande dessinée « 300 » qui raconte la mythique bataille des Thermopyles et l’histoire des Spartiates selon une sauce ouvertement fasciste (les faibles sont précipités dès leur naissance dans le vide), tout en représentant Xersès 1er comme un homosexuel.
Si comme Clint Eastwood, certains artistes libertariens, ont pu permettre un certain progrès dans les mœurs, comme Gene Roddenberry, le créateur de star Trek, qui influencera les producteurs de télévision afin de permettre à ses protagonistes d’échanger le premier baiser interracial, la majorité des artistes américains manifestent une détestation des institutions qui peut paraître suspicieuse à nombre de citoyens européens.
Dans la mesure où le capitalisme se mondialise, la question de l’individualisation, constitutive de cette société, est à soulever. Le libertarianisme est souvent mal interprété, y compris aux Etats-Unis, pourtant il réussit le tour de force de passer insidieusement dans les idées surtout auprès des jeunes grâce à la consommation effrénée de formes artistiques
diverses (science-fiction adolescente comme « Hunger Games », jeu vidéo comme « Bioshock » qui cite ouvertement « La grève » d’Ayn Rand).
Bien entendu, le débat ne devrait pas se tenir sur cette partie de la culture consommée par les adolescents qui pourrait être génératrice de violence, mais plutôt sur la mise en place progressive d’un manque de confiance envers les institutions qui pourrait aboutir à un désintérêt de la politique. On peut néanmoins garder espoir car les jeunes américains de la génération Z se sont heureusement réveillés en 2020 pour les dernières élections présidentielles. 3
2 Miller: « Anybody who thinks Batman was fascist should study their politics. The Dark Knight, if anything, would be a libertarian. The fascists tell people how to live. Batman just tells criminals to stop. » www.hollywoodreporter.com